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La fenêtre aveugle
Il était une fois un jeune prince qui vivait avec insouciance dans le palais de son père. Un jour,
il demanda au vieux sage chargé de son éducation :
- Parle-moi de l’argent. Je vois en quoi il est utile. Mais est-il parfois néfaste ?
Le vieil homme emmena le prince dans le grand salon du palais et le fit asseoir face à la vaste
baie vitrée donnant sur la grand-place.
- Que vois-tu, demanda l’ancien ?
- Je vois les enfants qui jouent sur la place, les jeunes filles qui dansent près du lavoir, le
forgeron qui martèle son fer.
Le sage disparut un instant et revint avec un seau et un pinceau.
- Qu’est-ce ? dit le prince.
- Un vernis à base d’argent.
Le vieil homme sortit du palais et recouvrit toute la baie vitrée d’une couche de vernis argenté.
Lorsqu’il rentra, le prince s’exclama :
- Mais il fait sombre, je ne vois plus rien.
Le sage alluma une lampe et demanda :
- À présent, que vois-tu ?
- Je ne vois plus que moi, comme dans un miroir, répondit le prince, je n’arrive plus à voir les
autres.
- Tu as la réponse à ta question, dit le vieux sage.
Le prince ordonna à ses serviteurs de nettoyer la baie vitrée. Mais le vernis résistait. À force
de frotter, le verre réapparut, mais entièrement dépoli. Irrité de ne pouvoir retrouver une
vision claire, le jeune prince, dans un accès de colère, lança la lourde coupe d’argent qu’il
tenait à la main contre la vitre qui vola en éclats.
Le prince revit alors avec clarté, limpidité le monde extérieur et les gens sur la place. Il
pouvait aussi entendre les cris des enfants, le chant des jeunes filles et le martèlement du
forgeron. Il pouvait sentir le parfum des épices et la caresse du vent sur son visage. Il
enjamba le cadre vide de la baie vitrée et se fondit dans le mouvement animé de la grand-place.
Merci à l'auteur, Charles Brulhart, qui nous a fait parvenir ce texte
(inspiré d’un proverbe yiddish).
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