J'ai compté mes années et j'ai découvert qu'il me restait moins de temps à vivre que celui que j'ai vécu jusqu'ici.
Je me sens comme cet enfant qui avait gagné une bourse de friandises : les premières, il les a mangées avec plaisir,
mais lorsqu'il comprit qu'il n'en restait guère, il se mit à les savourer profondément.
Je n'ai plus de temps pour d'interminables réunions où l'on discute statut, normes, procédés et règlements internes sachant qu'on n'arrivera à rien.
Je n'ai plus de temps pour supporter d'absurdes personnes qui n'ont pas grandi malgré leur âge chronologique.
Je n'ai plus de temps pour me heurter à des médiocrités.
Je ne veux pas me retrouver dans des réunions qui voient défiler des egos bouffis.
Je ne supporte pas ces manœuvriers et ces profiteurs.
Me gênent les envieux qui essaient de discréditer les plus capables pour s'approprier leur place, leurs talents et leurs succès.
Je déteste, si j'en suis témoin, les défauts qu'engendre la lutte pour une place majestueuse.
Ces personnes ne discutent pas le contenu, juste les titres. Mon temps m'est trop compté pour discuter de titres.
Je recherche l'essence, mon âme est pressée…
Les dernières friandises dans ma bourse m'obligent à vivre à côté de gens humains, très humains.
Qui sachent rire de leurs erreurs.
Qui ne se gonflent pas de leurs exploits.
Qui ne se considèrent pas choisis avant l'heure.
Qui ne fuient pas leurs responsabilités.
Qui défendent la dignité de l'homme avec comme seul désir de marcher aux côtés de la vérité et de l'honnêteté.
L'essentiel, c'est ce qui fait que la vie en vaut la peine.
Je veux m'entourer de gens qui sachent toucher le cœur des personnes.
Des gens à qui les coups durs de la vie ont appris à leur âme à grandir par touches douces.
Oui, je suis pressé de vivre avec l'intensité que seul l'âge peut donner.
Je prétends ne rien gaspiller des friandises qui me restent.
Je suis certain qu'elles seront plus délicieuses que celles que j'ai mangées jusqu'ici.
Mon but est d'arriver au bout satisfait et en paix avec mes êtres chers et ma conscience.
Un texte de Mario de Andrade,
poète brézilien, noveliste, musicologue, historien de l'art et critique, photographe.